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Compte-rendu de la conférence de Gaston Pineau à l’AFAPP (Association française de l’accompagnement personnalisé). Autoformation et accompagnement : Vers un ingenium de la reliance, entre autonomie et hétéronomie.

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S’il y a bien une conférence que nous, accompagnateurs de projets par la recherche-action, nous nous ne devions pas manquer en cette fin d’année 2013, c’est celle que Gaston Pineau a tenu à la maison des associations du 12ème arrondissement, ce 30 novembre. L’édifice est empreint de nostalgie – avec de grands arbres derrière – et conserve, sur son fronton, le nom de son usage initial : il s’agit de l’ancienne gare de Reuilly.

A l’image du bâtiment, Gaston Pineau a fait le trait d’union entre passé, présent et futur en rappelant les « fondamentaux » de l’accompagnement.

Il est professeur émérite à l’université François Rabelais de Tours et on lui doit, à parts égales avec Henri Desroche[1], l’introduction des histoires de vie dans la formation des adultes. Résidant au Québec, il était de passage à Paris, occasion, également, de promouvoir la ré-édition de son ouvrage co-écrit avec Marie-Michèle en 1983, « produire sa vie : autoformation et autobiographie[2] ».

Le sous-titre de l’intitulé de la conférence ne doit pas nous égarer : les mots peuvent sembler « savants », voire « pompeux ». Il n’en est rien. Gaston Pineau est simple et accessible. Il nous les explique.

Tout d’abord, le mot « ingenium » est préféré à « ingenierie », jugé trop « instrumental » et même « lourd ». Il le définit comme « la capacité à con-joindre » avec une résonance d’adjectifs tels que « généreux » et « ingénieux ».

Ensuite, vient le mot « reliance », concept récent – il date des années 1980 (on le doit à un sociologue, Marcel Bolle de Bal) – et qui induit « un partage des solitudes acceptées, un échange des différences ». Mais laissons plus amplement la parole à l’intéressé : « c’est l’éthique d’avenir d’établir de nouvelles reliances avec le monde, le cosmos, sans toutefois se faire avaler par l’environnement ». La reliance a quelque chose à voir avec la « délivrance » car c’est dans cet « entre-deux » qu’il s’agit de rechercher de nouvelles relations à partir des disparités constatées.

La notion d’alliance est fondamentale. Dans le travail d’accompagnement, il y a l’idée d’engagement, de cheminer ensemble, de partager des concepts, des connaissances et, de recevoir, en échange, des « moments de vie à partir desquels on va pouvoir développer une réflexivité ». A partir de l’été 1976, le modèle de l’interview et plus largement celui de l’entretien, vont lui fournir le dispositif nécessaire pour « ce faire » car le locuteur reste « immergé dans sa vie tandis que l’interlocuteur ne l’est pas ». Ensemble, ils vont pouvoir explorer et relier les possibles sociaux avec les possibles personnels afin d’établir les connexions nécessaires en vue d’élargir l’horizon. Les outils annexes (Analyse transactionnelle, PNL…) lui semblent peu utiles car « a-historiques » tandis que l’approche par l’histoire de vie contribue à décloisonner les savoirs. Elle permet, également, « l’accès de tous à la possibilité d’émancipation ».

L’écriture « autobiographique » est, par ailleurs, d’une densité telle que sans le recours à la Recherche, les protagonistes (accompagnateur et accompagné) seraient très rapidement démunis[3]. Comment, en effet, dans de telles conditions, analyser le récit ainsi produit ? Et à quelles disciplines se relier ? C’est à ce moment précis qu’intervient la notion de « transdisciplinarité », un décloisonnement des savoirs nécessaire et qui s’incarne dans le choix des concepts mobilisés. C’est le recours à plusieurs disciplines avec l’idée également d’aller au-delà de ces disciplines.  Aujourd’hui, les disciplines refermées sur elles-mêmes ne sont plus de mise, « c’est un héritage du XIXème siècle, la transdisciplinarité est l’avenir »… c’est un ample mouvement de changement anthropologique de fond ». L’accompagnement se situe « dans le prolongement des Sciences Humaines et prend sa source « historique » dans la maïeutique socratique, les grandes traditions religieuses et la psychanalyse, voire plus généralement dans les pratiques humaines. Mais en définitif, l’accompagnement musical reste l’archétype de l’accompagnement ». L’approche transdisciplinaire de l’accompagnement est fondamentale « dans l’idée de transformation de la société ». C’est l’ « art des mouvements solidaires ».

Bien que diverses entrées auraient été possibles pour explorer ces différentes formes d’accompagnement, le déroulé de l’exposé de Gaston Pineau est, selon ses propres mots, « un cheminement intellectuel autour de préfixes ».

L’accompagnement s’est construit autour de 4 préfixes : « auto », « hétéro », « co » (avec) et « acc » (ad, vers).

Le préfixe « auto » (autoformation, autobiographie) renvoie à soi et a longtemps été perçu comme non-scientifique : c’est le « vif du sujet », source d’idéalisation et de déformation. En dépit de cela, au début des années 1980, naissent les Sciences de l’ Autos qui impliquent le retour du « même » (idem), mais également « l’être pensant » (ipse), c’est-à-dire l’émergence du sujet, de l’individu. Il s’agit d’une double appropriation de la formation par le sujet. Il en devient à la fois sujet et objet. Ecrire sa vie est un moyen puissant d’autoformation où « repli réflexif et dépli narratif » s’entremêlent : c’est « une double boucle complexe qui soulève des épreuves inédites », « l’inachèvement de la vie condamne l’individu à l’audace [4]» et « l’on ne doit pas s’enfermer dans l’autos, qui représente un peu l’île de Robinson Crusoë, il faut travailler en liaison avec l’autre ». Il est bon de rappeler que l’histoire personnelle se fait avec et contre les autres : elle est faite de rencontres, de séparations, d’accompagnements, d’abandons. C’est une relation entre soi et les autres. Les relations prennent du temps et doivent maturer…

Le préfixe suivant, c’est « hétéro ». Le danger, comme précédemment, est d’idéaliser l’autre. Gaston Pineau rappelle qu’au départ – c’est-à-dire jusqu’à « l’âge légal adulte » – le pouvoir est la propriété d’autres personnes (les parents, les professeurs). L’adulte conquiert progressivement tous les secteurs de vie, en nouant des contacts. Gaston Pineau n’a pas peur d’affirmer que : « les autodidactes sont ceux qui ont les réseaux les plus grands et variés [5]». Ces personnes tierces sont des alliés pour sortir du duel auto/hétéro : « elles doivent nouer une réciprocité d’échanges et de communication », « l’école buissonnière est aussi une alliée stratégique pour l’autoformation ».

Cela nous conduit au troisième préfixe « co ». Il est question, ici, de relations qui se veulent davantage interactives et horizontales. Il s’agit encore de relations transversales allant vers un mouvement de coopération : bref, une relation de parité.

Cela nous fournit le dernier préfixe « acc » (ad, vers). L’idée de mouvement est fondamental et se déploie dans deux directions : soit vers le « co » (une relation de réciprocité), soit, a contrario, vers l’hétéro (renforçant alors une relation d’altérité).

Gaston Pineau en tire la conclusion que toute organisation sociale laisse des zones d’incertitude et que c’est précisément en ce lieu que l’on peut travailler.

Le compagnonnage reste le mot source, celui qui irrigue tout l’accompagnement. D’ailleurs, l’UNESCO a inscrit, en 2010, « l’accompagnement » comme patrimoine immatériel mondial. C’est une voie expérientielle, une initiation mutuelle. La relation se fait au même niveau car il s’agit du partage d’un élément vital (pan = pain mais signifie aussi totalité). L’élément temporel est important à rappeler car le partage se fait dans le temps, la durée : il perdure et se nourrit du temps. Gaston Pineau ajoute : « L’accompagnement est encore un mouvement vers une relation interpersonnelle d’échanges substantiels avec une disparité d’origines sociales. Il semble se nourrir des dysfonctionnements et ébranle, au passage, les solidarités de bases. Il faut chercher des nouvelles relations avec ces disparités-là. La personne peut très bien décider de changer de voie de peur d’être assujettie par des relations assujettissantes ».

Mais comment la vie se reconfigure-t-elle après une autobiographie ? Gaston Pineau répond : « L’on ne se rend pas compte de la révolution que provoque la mise en « public », il faut donc beaucoup murir sa parole[6] ».

Gaston Pineau est aujourd’hui à la retraite : « c’est dans la notion de crise, de chaos que peut sortir l’ordre… Sortir du travail n’est pas plus facile que d’y entrer. Il s’agit de quitter le domaine professionnel pour aller vers l’existentiel… Entre 20 et 30 ans, je ne suis jamais resté plus d’un an au même endroit. Je renvoyais l’image de quelqu’un d’instable, un peu caractériel ».

Une belle leçon d’accompagnement (comment accompagner l’autre mais également s’accompagner soi-même) !

Rappel bibliographique :

G. PINEAU et Marie-Michèle, Produire sa vie : Autoformation et autobiographie, coll [RE]édition, Téraèdre, Paris, 2012.

G. PINEAU (éd.), Accompagnements et histoire de vie, L’Harmattan, Paris, 2000.

J-P BOUTINET, N.DENOYEL, G.PINEAU, J-Y ROBIN, Penser l’accompagnement adulte, Paris, PUF, 2007.

Remerciements : L’AFAPP a organisé cette conférence et l’entrée était gratuite, seul l’ouvrage de Gaston Pineau était payant, soit 25 euros. Mais avec une dédicace « personnalisée » en prime !


[1] Rappel qui « coule de source » : il est notre Maître en recherche-action.

[2] G.PINEAU et MARIE-MICHELE, Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Téraèdre, Paris, 2012.

La première édition (1983) avait une couverture noire qui, selon l’auteur, représentait « le foyer nocturne, un fond peu connu où tout est encore confus ; des rayons rougeâtres apparaissent et semblent transpercer ce « sombre » : ils symbolisent l’émergence de la prise de conscience que peut apporter l’autobiographie ». Bref, le temps préféré de l’autoformation est la nuit.

[3] L’occasion d’un autre rappel important : l’écriture autobiographique doit toujours partir d’ « événements » et non d’ « états d’âme » !

[4] G.PINEAU Sauve qui peut ! La vie en formation permanente. Quelle histoire ! Education permanente, n°72-73, mars 1984.

[5] Pour ce faire, il prend l’exemple de Marie-Michèle qui a recensé 78 personnes « ressources » (noyau familial, amis, contacts socio-professionnels).

[6] Marie-Michèle s’est opposée pendant de longues années à la ré-édition de l’ouvrage co-écrit avec Gaston Pineau (paru initialement en 1983) et ajoute : « il nous a fallu 30 ans pour passer d’une relation d’hétéronomie descendante à une véritable relation de compagnonnage » (Marie-Michèle étant une de ses anciennes étudiantes).

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